La Mort selon l'Ayurvéda : Une Vision Holistique du Passage de l'Âme
Introduction : Comprendre la Peur de la Mort
Les réponses aux questions contemporaines montrent que la peur de la mort est majoritairement liée à la douleur physique, à la solitude et à la séparation avec les proches. Ce qui domine dans les représentations actuelles est l'attitude archaïque d'horreur de la mort et le désir de notre société d'en supprimer l'apparence et même l'idée. Mourir seul parmi les appareils destinés à protéger la vie, mourir seul entouré de vivants auxquels on ne peut pas dire son angoisse de la séparation, et qui vous tapotent les joues d'un air jovial en vous trouvant une meilleure mine, alors qu'on sent la vie qui file par tous nos sens, c'est ce qui est souvent imposé aux humains.
Selon les textes védiques, particulièrement la Bhagavad-Gītā, la mort n'est qu'un changement de vêtement pour l'âme éternelle (jīvātmā). Krishna enseigne à Arjuna : "De même qu'une personne abandonne des vêtements usés pour en revêtir de nouveaux, l'âme incarnée abandonne les corps usés pour entrer dans d'autres corps nouveaux."


Se Familiariser avec l'Idée de la Mort
Il y a une prise de conscience que l'on n'est pas tout puissant, mais au contraire mortel. Paradoxalement, apprivoiser l'idée de sa mort décuple l'envie et la joie de vivre chaque moment du présent. Cette acceptation de la mortalité, appelée "maraṇa-smaraṇa" dans les traditions védiques, permet de développer un détachement sain (vairāgya) et une appréciation plus profonde de chaque instant.
Le corps physique se décompose graduellement après la mort, ce qui justifie qu'on l'inhume ou l'incinère. La crémation du corps qui se développe aujourd'hui est une décision à bien réfléchir et à ne pas réduire à une question pratique, de manque de place ou d'écologie. Dans la tradition védique, la crémation (anteyeṣṭi) est préférée car elle facilite la libération complète de l'âme de son attachement au corps physique et aide à la purification des éléments (pañca-mahābhūta).
La Nature de l'Âme selon l'Ayurvéda
L'âme, siégeant dans le cœur, est le principe vital, le principe d'autodétermination, le noyau central de l'énergie positive par laquelle tous les atomes du corps sont maintenus en place et sont subordonnés à la « volonté de vivre » de l'âme. Cette âme individuelle (jīvātmā) est de la même essence que l'Âme Suprême (Paramātmā) mais reste distincte dans son expérience incarnée. Elle possède trois qualités fondamentales : sat (existence éternelle), cit (conscience pure) et ānanda (félicité spirituelle).
La mort est donc, littéralement, le retrait du cœur et de la tête de ces deux courants d'énergie, ce qui produit la perte complète de la conscience du corps et sa désintégration. Ce processus suit un ordre cosmique précis gouverné par les lois du karma et du temps (kāla), qui déterminent le moment exact de la séparation.
Le Processus de la Mort Humaine
Quand l'âme estime que le temps de l'incarnation est terminé, elle décide de se retirer, cela provoque la mort du corps physique. Le moment de la libération de l'âme de son véhicule physique est fixé par la loi karmique. Ce moment est déterminé par trois facteurs principaux : le prārabdha-karma (karma destiné à être vécu dans cette vie), le libre arbitre de l'âme, et l'intervention divine (daiva).
Sous le premier aspect, la mort est la fin naturelle d'un cycle, sous le second aspect, elle peut être causée par l'abus des facultés du corps physique, la mauvaise application de l'énergie de vie ou l'action délibérée de l'humain lui-même. L'Ayurvéda reconnaît ainsi trois types de mort : kāla-mṛtyu (mort naturelle au terme de la durée de vie, elle est liée à l'épuisement de l'Āyus), akāla-mṛtyu (mort prématurée due à des facteurs externes ou des déséquilibres) et icchā-mṛtyu (mort volontaire des grands yogis).
Les Corps Subtils et la Transition
Du point de vue de l'âme, le fait de venir s'incarner, c'est-à-dire de naître dans un corps physique dense revêtu d'un corps émotionnel et d'un corps mental, constitue un emprisonnement temporaire. Ces trois corps - sthūla-śarīra (corps physique), sūkṣma-śarīra (corps subtil) et kāraṇa-śarīra (corps causal) - suivent des processus de dissolution distincts au moment de la mort.
Sous l'action de soins donnés au corps physique, de l'acharnement thérapeutique, le pouvoir du corps physique prend le dessus sur la volonté de l'âme et l'empêche de se désincarner. Cette résistance artificielle peut créer un déséquilibre dans le processus naturel de mort et prolonger inutilement la souffrance de l'âme emprisonnée.
La Mort Consciente : L'Idéal Spirituel
La mort est en fait une histoire de conscience. Tant que notre conscience est identifiée à la forme humaine, la mort gardera à nos yeux toutes nos anciennes peurs (la souffrance, qu'est-ce que je laisse derrière moi, mes biens matériels, ai-je une descendance, où je vais, je n'existerai plus, va-t-on m'oublier...).
Les grands maîtres spirituels cultivent la pratique du "icchā-mṛtyu" - la capacité de quitter consciemment le corps au moment choisi. Cette maîtrise s'acquiert par la méditation profonde (samādhi), la connaissance de soi (ātma-jñāna) et le détachement des identifications corporelles.
Dès que nous nous reconnaîtrons comme âmes et que nous serons capables de centrer notre conscience sur n'importe quel plan à volonté, nous ne connaîtrons plus la mort. Cette réalisation, appelée "jīvan-mukti" (libération vivante), permet à l'âme de transcender la peur de la mort et de reconnaître sa nature éternelle.
Les Plans de Conscience Post-Mortem
Le plan émotionnel ou plan astral renferme des égrégores de chaque émotion, désir et sentiment qui ont été nourris par l'humanité depuis la nuit des temps. Ces plans correspondent aux différents lokas (mondes) décrits dans les Purāṇas : Bhūrloka (plan physique), Bhuvarloka (plan vital), Svarloka (plan mental), et les plans supérieurs jusqu'au Satyaloka.
Après avoir quitté le corps qu'elle animait, l'âme redevient une énergie purement spirituelle et s'harmonise dans l'invisible avec le plan de conscience correspondant au degré d'évolution qu'elle a atteint à l'issue de sa vie terrestre. Cette harmonisation suit les lois du "bhāva-samādhi" - l'âme rejoint automatiquement les vibrations qui correspondent à son état de conscience développé durant sa vie.
Le Processus Technique de la Mort
D'un point de vue technique, la mort se produit lorsque le fil de conscience reliant l'âme au cerveau et le fil de vie reliant l'âme au cœur se retirent. Ce processus implique la dissolution progressive des éléments : l'élément terre se dissout dans l'eau, l'eau dans le feu, le feu dans l'air, l'air dans l'éther, et finalement l'éther dans la conscience pure.
On sait que les nadis sont la contrepartie éthérique du système nerveux tout entier. Ces 72 000 canaux énergétiques, avec les trois principaux - iḍā, piṅgalā et suṣumnā - jouent un rôle crucial dans le processus de sortie de l'âme. La sortie peut se faire par différents orifices selon le niveau spirituel : les yogis sortent par le brahmarandhra (sommet du crâne), d'autres par différents chakras.
Les Trois Germes du Futur
Le Processus de Révélation :
L'Écran Cosmique (Chit-Darśana)
L'âme (Jīvātman) présente à la conscience individuelle un panorama complet des vies antérieures. Cette révélation dure une fraction de seconde mais contient l'essence de multiples existences. L'être conscient opère une sélection instinctive parmi ces expériences
Détail des Trois Germes :
Germe n°1 - Sthāna-Bīja (Germe de Position)
Correspond au Sañcita Karma
Détermine : Famille, lieu de naissance, conditions matérielles, environnement social
Influence : Constitution physique (Prakriti), hérédité, ressources disponibles
Mécanisme : Attraction magnétique vers des parents aux vibrations compatibles
Germe n°2 - Śakti-Bīja (Germe de Pouvoir)
Correspond au Prārabdha Karma
Détermine : Capacités innées, talents, structure énergétique, équilibre des doshas
Influence : Potentiel intellectuel, dons artistiques, force vitale (Ojas)
Mécanisme : Activation des saṃskāras spécifiques selon les expériences choisies
Germe n°3 - Bandhu-Bīja (Germe de Relation)
Correspond à l'Āgāmi Karma
Détermine : Cercle relationnel, âmes-sœurs, ennemis karmiques, maître spirituel
Influence : Qualité des attachements, leçons affectives à apprendre
Mécanisme : Résonance avec les âmes ayant des dettes mutuelles
Formation des Saṃskāras : Le Processus d'Imprégnation
Mécanisme de Formation :
Phase 1 - Saṃkalpa (Intention initiale) Au moment de la sélection des trois germes, l'âme formule une intention profonde (saṃkalpa) qui devient le plan directeur de l'incarnation. Cette intention cristallise en bīja-mantra - des vibrations semences qui s'impriment dans le corps subtil (Liṅga-śarīra).
Phase 2 - Vāsanā-Nirmāṇa (Création des tendances) Les expériences sélectionnées se transforment en vāsanās (parfums psychiques) qui imprègnent les différentes couches de la conscience :
Ānandamaya-kośa reçoit les impressions spirituelles
Vijñānamaya-kośa intègre les impressions intellectuelles
Manomaya-kośa absorbe les impressions émotionnelles
Phase 3 - Saṃskāra-Sthāpana (Établissement des impressions) Les vāsanās se solidifient en saṃskāras permanents qui s'inscrivent dans la structure énergétique :
Les Trois Catégories de Saṃskāras Formés :
Janma-Saṃskāras (Impressions de Naissance)
Formation : Le germe n°1 active des mémoires d'environnements similaires
Inscription : Dans les marmas (points vitaux) et la structure osseuse
Manifestation : Attraction vers certains lieux, goûts alimentaires innés, réactions instinctives à l'environnement
Exemple : Enfant né en France mais attiré naturellement par la culture japonaise (mémoire d'incarnation précédente)
Śakti-Saṃskāras (Impressions de Capacité)
Formation : Le germe n°2 réveille des talents acquis dans d'autres vies
Inscription : Dans le système nerveux et les nādīs (canaux énergétiques)
Manifestation : Facilités précoces, génie dans certains domaines, dons spontanés
Exemple : Enfant prodige en musique qui "se souvient" de techniques jamais apprises
Ṛṇa-Saṃskāras (Impressions de Dette Karmique)
Formation : Le germe n°3 établit des liens magnétiques avec certaines âmes
Inscription : Dans le hṛdaya (cœur spirituel) et le système circulatoire
Manifestation : Reconnaissance immédiate, amour/aversion inexpliqués, sentiment de "déjà vécu"
Exemple : Amour instantané ou répulsion immédiate envers certaines personnes
Processus d'Activation Graduelle :
Enfance (0-7 ans) : Activation des Janma-saṃskāras
Les impressions environnementales se manifestent
Formation des goûts et dégoûts fondamentaux
Adolescence (7-21 ans) : Éveil des Śakti-saṃskāras
Les talents se révèlent spontanément
Développement des capacités spécifiques
Âge adulte (21+ ans) : Déploiement des Ṛṇa-saṃskāras
Les relations karmiques principales se présentent
Résolution des dettes émotionnelles et spirituelles
Purification des Saṃskāras :
Techniques Ayurvédiques :
Panchakarma - Purification physique des impressions toxiques
Prāṇāyāma - Nettoyage énergétique des canaux subtils
Mantra-japa - Transformation des vibrations mentales
Dhyāna - Dissolution des attachements karmiques
Cette compréhension permet au thérapeute ayurvédique d'identifier les saṃskāras limitants et d'accompagner leur transformation pour libérer le potentiel authentique de l'individu.


L' Accompagnement et la Préparation
L'Ayurvéda enseigne l'importance du "sat-saṅga" (compagnie spirituelle) et de la récitation de mantras divins durant les derniers moments.
Le mantra "Oṃ namo nārāyaṇāya" ou le mahā-mantra Hare Krishna sont particulièrement recommandés pour purifier la conscience au moment du départ.
Les étapes du deuil se mûrissent et se préparent bien avant d'être en situation de derniers moments de vie. L'accompagnement spirituel inclut la lecture des textes sacrés, particulièrement le Garuḍa Purāṇa qui décrit en détail le voyage post-mortem de l'âme et les rites appropriés pour faciliter sa transition.
En cultivant une compréhension védique de la mort comme simple transition, nous pouvons transformer notre approche de la fin de vie en une opportunité de croissance spirituelle et de réalisation de notre nature éternelle.
Pour approfondir cette compréhension, le centre ayurvédique Arkadhya propose des séminaires sur cette approche face à la mort et pour répondre aux questions existentielles profondes et importantes dans la vie d'un être humain.